Le droit, arme de guerre économique ?

Ô rage, Ô désespoir, ce droit sacré sur lequel repose ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, est devenu un redoutable mercenaire au service de la guerre économique. Bien que réglementé, le monde des affaires met la loi au service de la ruse dans une logique néolibérale plus chaotique que jamais.

Selon qui dit le droit, ce dernier peut se corrompre au point d’apparaître comme une pièce maîtresse dans des arsenaux économiques peu versés dans la défense des droits humains et de l’environnement. Avec l’accroissement des sources juridiques, étatiques, supranationales, internationales, les états se confrontent les uns aux autres dans un dialogue de sourds et font face à une appropriation privée du droit. L’enchevêtrement des règles et leur instabilité, brouillent les pistes et plongent les individus, les organisations économiques et politiques dans un salmigondis amenant à oublier l’intérêt commun pour… sauver sa peau.
Les échanges commerciaux et les besoins en énergie favorisent les stratégies géopolitiques. Notre pays n’a-t-il pas senti le vent du boulet lorsqu’en 2021, le ministre de l’Économie Guy Parmelin appelait les entreprises suisses à se préparer à une possible pénurie d’électricité, faute d’accord avec l’Union européenne. Invité de l’émission Forum, l’ingénieur Marc Müller déclarait au mois d’octobre de la même année : « On est un pays d’enfants gâtés. On pense qu’il y aura des gens autour de nous qui vont nous fournir ce qu’on n’a pas envie de faire chez nous ».

Un droit meuble sous la pression des titans
Le droit, argile du potier législateur, devient l’ustensile de stratégies juridiques montées par des entreprises internationales aux chiffres d’affaires dépassant les budgets de bien des états. Ces hydres, tout comme les puissances qui les ont vues naître utilisent le paravent du droit pour défendre leurs intérêts, jusqu’à attaquer les états venant perturber leur emprise idéologique. Le traité Tafta en est un exemple marquant. Grâce à leur pouvoir extraordinaire, il n’est pas rare que les mégaentreprises bénéficient d’un droit sur-mesure, ce qui laisse perplexes les acteurs économiques soucieux d’éthique.
Hélas, un droit privilégié se dessine, renforcé par le recours abusif à des stratégies juridiques révoltantes : multiplication des procédures à des fins d’intimidation, usage du pénal, manipulation médiatique pour présomption de culpabilité, etc.
Les avocats et juristes suisses doivent se battre pour rester un solide rempart face à cette complexité, cet égarement moral.

Revenir à la défense du bien
Si, in fine, tout se rapporte à l’homme dans ses choix avec le droit, comme Antigone, de dire non à Créon, il est important que nos organisations politiques soutiennent fermement l’idée du bien collectif dans le développement et l’évolution de la loi. Défendre la vie privée, le tissu économique local, lutter contre les stratégies juridiques invasives menaçant la liberté, la santé, les projets individuels ; mais aussi et surtout dénoncer la ruse, la duplicité et les objectifs mercantiles visant une croissance sans fin, devenue étrangère à la notion de progrès.